A découvrir/Vie des bibliothécaires

A la découverte de l’INJS

L’équipe de la médiathèque de la Canopée a été accueillie cet été à l’Institut National des Jeunes Sourds, et vous fait profiter de la visite !

Un petit peu d’histoire

L’Institut National des Jeunes Sourds n’a pas toujours été hébergé rue Saint Jacques ! L’Abbé de l’Epée a créé cette institution mais ne la verra jamais installée dans cet ancien couvent situé dans le 5ème arrondissement.

C’est en observant deux sœurs jumelles sourdes que cet abbé janséniste comprend qu’elles s’expriment dans une langue composée de signes. Etant donné son statut de religieux, il souhaite réunir le plus d’enfants sourds afin de leur « enseigner la parole de Dieu » dans leur langue. Il ajoute des éléments de grammaire française aux signes observés , c’est ce qu’on appelle les « signes méthodiques ». Les élèves sourds grandissent à l’Institut et deviennent à leur tour professeurs pour la génération suivante.

Son action a une résonance internationale et pérenne : après sa mort, au début de la Révolution Française, l’Institut est financé par l’Etat Français. Cependant, le regard change sur les sourds : on médicalise les sourds, la LSF devient un symptôme d’une maladie, elle n’est plus une richesse. Au cours du 19ème siècle, les différents directeurs de l’Institut essayent diverses méthodes violentes pour « soigner » la surdité. Est notamment installée une salle d’hydrothérapie, où les élèves étaient immergés dans l’eau froide. L’un des professeurs, Laurent Clerc, émigre aux Etats-Unis pour co-fonder une Université réservé aux Sourds. C’est ainsi que l’American Sign Language (ASL) a des éléments de LSF dès sa création !

En 1880, le Congrès de Milan interdit l’usage de la LSF dans l’éducation des sourds. La communauté sourde résiste à la marge en créant des clubs sportifs, littéraires, et des moments de retrouvailles (banquets). Mais la LSF s’appauvrit petit à petit jusqu’au Réveil Sourd, à la fin des années 1970.

Un petit peu de politique

En plein mouvement des droits civiques aux Etats-Unis, deux activistes sourds américains s’installent en France, dans un local au château de Vincennes. Ils invitent les Sourds français à créer des pièces de théâtre. La LSF est revalorisée, enrichie, et mise en valeur par beaucoup d’évènements culturels . Les Sourds militent pour leur langue et leur identité culturelle : le Réveil Sourd a pour conséquence des changements profonds à l’Institut. En 1991, la LSF est enfin acceptée comme langue d’enseignement : les recrutements de professeurs de LSF peuvent se mettre en place. En 2005, la loi Egalité des Chances (dite « Loi Handicap ») ouvre – en théorie – de nouvelles possibilités pour l’inclusion avec la création de classes bilingues français/LSF. Dans les faits, la loi a fait qu’en contrepartie, les établissements spécialisés pour Sourds voient leur nombre réduire. Les élèves sourds sont souvent seuls en classe, entourés d’entendants, et souffrent a minima d’isolement, de difficultés scolaires, voire de harcèlement.

Enfin, les débats sont nombreux dans la communauté sourde quant à l’implantation des enfants sourds. Le test d’audition des nouveaux-nés, après un diagnostic négatif, est suivi d’une incitation forte à l’opération pour poser un implant cochléaire. Aujourd’hui, quasiment tous les élèves arrivant à l’INJS sont implantés, mais les Sourds se posent la question de la LSF, de sa pérennisation. Car la LPC (Langue Parlée Complétée) est plus « facile  » à apprendre et à utiliser avec l’implant, et concurrence la LSF. Quel serait donc l’avenir de l’enseignement des enfants sourds ?

La bibliothèque patrimoniale

La belle bibliothèque est située dans la partie la plus ancienne du bâtiment : on y accède par un escalier du 18ème siècle, chef-d’œuvre de pierre et de fer forgé, et nous voici face aux vitrines réalisées par des élèves sourds de l’atelier menuiserie !

La bibliothèque est née grâce aux dons du gouvernement français en 1798, issus des collections confisquées des congrégations. Ces cent premiers livres ne concernent pas la surdité, mais ont pour but de construire une bibliothèque pour donner l’accès aux savoirs aux Sourds. Ils ont plutôt un intérêt patrimonial précieux : le plus ancien, un incunable, date d’environ 1500.

Elle s’est ensuite enrichie d’ouvrages scientifiques, éducatifs, patrimoniaux (33 tomes de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert !), tous liés de près ou de loin à la surdité. La bibliothèque est ouverte aux élèves et aux professeurs de l’Institut, mais aussi aux personnes externes (chercheurs, descendants d’élèves, etc.). Le catalogue est accessible en ligne, et l’Institut commence un projet de numérisation des fonds en lien avec la BNF.

Le Centre de Documentation et d’Information

Après une visite du jardin (contenant: un bassin creusé en même temps que celui du jardin du Luxembourg, une serre, une roseraie, des clapiers à lapin, et un four à poterie gallo-romain), passons au CDI.

Anciennement bibliothèque scolaire depuis 1933, le CDI s’est transformé à partir des années 80 quand les éducateurs ont mené une réflexion sur un espace dédié à une aide aux devoirs et aux activités de loisirs. Nous pouvons y trouver des documentaires, des revues, des BD et mangas, des livres Facile à Lire et à Comprendre, ainsi qu’un fonds professionnel destiné aux enseignants de l’INJS. Le budget d’acquisition annuel est d’environ 2000 euros.

Tous les élèves ont accès au CDI, qu’ils soient en inclusion dans un autre établissement scolaire, ou scolarisés entièrement à l’Institut. En effet, de la 6ème jusqu’à la 2ème année de CAP, les élèves peuvent être scolarisés dans des collèges et lycées partenaires : le suivi pédagogique est fait dans les structures accueillantes et le suivi éducatif à l’INJS (qui ne dépend pas du Ministère de l’Education nationale, mais du Ministère des Solidarités et des Familles). Si le projet d’inclusion ne se déroule pas correctement (échec scolaire, illettrisme tardif), l’élève peut être amené à entrer à l’internat à l’INJS. Les élèves en CAP ont diverses filières à choisir : coiffure, couture, menuiserie, métallerie, plomberie, travaux paysagers.

L’équipe de documentalistes organise des ateliers lectures en LSF (qui vont être filmés et mis en ligne sur la plateforme Platon), un « 1/4 d’heure de lecture », et des projets pédagogiques avec les enseignants : visite d’une rédaction d’un journal, rencontre avec des personnalités sourdes, chansignes…

Un grand merci à Anne Picaud, Wayan Guéret et Claire Jahan pour cette visite.

Vous aussi, vous pouvez venir visiter l’Institut : renseignements et contact ici !

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